Le camp de « Su Champs »

Temps modernes.

En aval du moulin et du gué des Nawés, à mi-parcours entre Herbeumont et Mortehan (Cugnon), la Semois décrit un large méandre enserrant un massif boisé connu sous le toponyme de Su Champs. Cette boucle protège une fortification bastionnée, construite au bord d’une terrasse épargnée par la rivière, qu’elle domine de quelque 20 mètres. Seuls les fossés sillonnent un site actuellement boisé et dessinent une étoile à huit branches irrégulières. L’ouvrage se développe sur une longueur de 65 m pour une largeur de 50 m. Sur les flancs nord, ouest et sud, les fossés ont encore une profondeur de 1,20 m à 1,60 m et sont larges de 5 à 6 m.

Une coupe à travers le fossé et des sondages à l’intérieur du camp ont montré des traces d’essartage antérieures à l’aménagement du site. Lors du creusement des fossés, les déblais furent rejetés vers l’intérieur pour former un parapet de 80 à 90 cm de hauteur. A l’est, le talus naturel fut entaillé pour réserver une protection suffisante. Des traces très nettes de feu dans les fossés indiquent encore un nettoyage ultérieur du site. Les sondages ont apporté un matériel archéologique très modeste : fragments de fourneaux et de tuyaux de pipe, un tesson de cruche décorée au bleu de cobalt. Ces objets ne peuvent dater d’avant 1584/90.

Devant cette carence, seule la confrontation de la typologie des fortifications avec les données de l’histoire locale et de la topographie ancienne peut jeter quelque lumière sur l’origine et la fonction de cet ouvrage. Ce type d’enceinte bastionnée, sans courtine ni flancs, marque les débuts de ce type de fortification ; sa chronologie semble devoir se placer dans le courant du dernier quart du XVIe siècle et les débuts du XVIIe siècle. Le fortin occupe un endroit stratégique. Jadis, en effet, si l’on voulait se rendre à Mortehan au départ d’Herbeumont, il fallait obligatoirement passer la Semois pour poursuivre sa route sur la rive gauche. La rivière venait buter anciennement contre le massif schisteux de la Côte de Champion et ne laissait point de passage à une route sur sa rive droite. Ce n’est qu’au XIXe siècle, que la route actuelle a été implantée sur un remblai et a déplacé, de ce fait, le cours de la rivière vers le sud en isolant la noue ancienne ; ce bras mort marque d’ailleurs toujours la limite entre les communes de Cugnon et de Herbeumont.

Cette topographie ancienne éclaire singulièrement le rôle des habitants du hameau abandonné de Champion relaté dans les textes (1). Situé en face du fortin, de l’autre côté de la Semois, il comptait, en 1613, quatre maisons modestes. Le toponyme actuel Côte de Champion, perpétue encore son souvenir, mais sa localisation précise reste cependant encore problématique ; la ligne de chemin de fer Bertrix-Muno et la route Bertrix-Herbeumont ont, en effet, bouleversé tout le paysage ancien. On sait, d’autre part, que les habitants de ce hameau portaient le surnom d’ « hommes de Sarados » et qu’ils percevaient un droit de passage de la Semois à charge des habitants de Herbeumont, Cugnon, Mortehan et Auby. Par ailleurs, une brève chronique, conservée dans les registres paroissiaux de Herbeumont, consigne en 1622 (2): « quantz aux Alemans qui estoientz demeurez à Sedain se sont caschez depuis les departemens de notre armés et gendarmerie sescouler et passer pays pr troup dont la premiere as esté attaqué dans les bois de Transine et avoitz passé Semoi à Sarada des membres après avoir erres toute la nuit se retrouverent au point du jour à Bertrix … ». Ce texte relate un évènement de la Guerre de Trente Ans, lorsqu’en 1622, les troupes impériales de Don Gonzalvo de Cordoba poursuivirent celles d’Ernest de Mansfeld. Ce dernier, après avoir campé à Sedan, gagna la République néerlandaise, non sans s’être fait tailler en pièces à Fleurus le 22 août. L’identification du passage de Sarada, mentionné en 1622, avec le gué de Su Champs pris en charge par les « hommes de Sarados » ainsi dénommés dans le texte de 1613 est patente.

De plus, le sous-bois, au sud du fortin, révèle encore les traces d’une route, qui au départ de la fortification, allait rejoindre la route de Mortehan. Faut-il voir alors dans le fortin de Su Champs un petit poste aménagé en ce début de la Guerre de Trente Ans, pour contrôler la route Herbeumont-Mortehan à son passage de la Semois. Le texte de 1622 est explicite « Depuis Chiny et tout le long de la riviere de Semoy les passaiges estoient serrez et bien gardez bonne et diligente garde se faisoit pour les subjetz tant au Chasteau de herbeumont que es avenus denviron… ». Cette hypothèse est séduisante et ni la typologie, ni la topographie, ni les maigres découvertes archéologiques et le contenu des documents d’archives ne s’y opposent.

André MATTHYS et Guido HOSSEY.
(1) A.E.A. (Archives de l’Etat à Arlon). Administration des terres wallonnes des princes de Liiwenstein-Stolberg, I, 37. Rapport de visite des terres du comte de Liiwenstein par Nicolas Lamouillye et Wipart (juin 1613) „Le VIIIe de jung solmes estez visiter à Champillon et y trouvé quattre maisons édiffiées, sur led. gaignage ayons déclaré les detenteurs estre les hommes de Sarados qu’il avoit eu arrentement des seigneurs et furent lettres perdues à la prinse d’Herbeumont (en 1557) : Ils déclarent qu’il at environ de quattre charées de foing et environ douze iours de terres avecq une vanne estante près de Suchamps et payent un franc sept gros et XVIII anguilles par an, ayans le droit aux aisances comme ceulx d’Herbeumont, harbaye et chauffaige subiects en touttes corvées et droicts et bourgeoisie envers le seigneur. Oultre plus déclarent estre attenus de lever naselles pour passer et repasser la rivière aux bourgeoys d’Herbeumont, Cugnon, Auby et Mortehan, parmy quoy iceulx bourgeois desd. Villaiges leur doit par an un pattar au Noël ». Après 1636, les mentions du hameau de Champion cessent. La peste qui ravagea la région de mai au mois d’août 1636 a sans doute décimé ses habitants.
(2) A.C.H. (Archives communales d’Herbeumont). Registres paroissiaux, vol. I, 15 (copie manuscrite du XIXe siècle).

Merci à IGN pour son autorisation de publier cette carte.

 Carte de Guillin avec la mention du gué de Champion et du gué de Noé  ( Nawés)

Le site en images

Accès et localisation

Site sur terrain privé, beaucoup de végétation.

Recommandations

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FOUILLES INTERDITES

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